Une statue brisée de l'ancien président syrien Hafez al-Assad se trouve devant les bureaux du parti Baas à Damas

Damas (AFP) - Le gouvernement intérimaire syrien s'est engagé jeudi à instaurer un "Etat de droit" après des années d'abus sous le régime du président déchu Bachar al-Assad, tandis que les Etats-Unis mettent en garde contre toute action risquant de déclencher un nouveau conflit.

Assad a fui la Syrie après une offensive éclair menée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et ses alliés, qui a mis fin brutalement à cinq décennies de règne impitoyable de son clan.

Les Syriens de tout le pays et du monde entier ont éclaté de joie après avoir enduré une époque au cours de laquelle des dissidents présumés ont été emprisonnés ou tués, et près de 14 années de guerre qui ont tué 500 000 personnes et déplacé des millions de personnes.

« Nous vivions dans l'oppression, nous étions incapables de parler », a déclaré à l'AFP Ibtissam Kaab, une habitante de Qardaha, la ville natale d'Assad.

« Chaque fois que nous voulions parler, ils menaçaient de nous faire du mal, à nous et à nos enfants. »

Une femme tient un crâne dans une morgue de Damas où les gens tentent d'identifier les corps de leurs proches enlevés sous Assad

Le porte-parole du nouveau gouvernement a déclaré jeudi à l'AFP que la Constitution et le Parlement du pays seraient suspendus pendant la durée d'une transition de trois mois.

« Une commission judiciaire et des droits de l'homme sera créée pour examiner la constitution et ensuite introduire des amendements », a déclaré Obaida Arnaout.

S'exprimant au siège de la télévision d'Etat, occupé par les nouvelles autorités rebelles, Arnaout a déclaré qu'elles instaureraient « l'État de droit ».

« Tous ceux qui ont commis des crimes contre le peuple syrien seront jugés conformément à la loi », a-t-il ajouté.

Interrogé sur les libertés religieuses et personnelles, il a déclaré : « nous respectons la diversité religieuse et culturelle en Syrie ».

- Avertissement contre les « conflits supplémentaires » -

Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, qui était en Jordanie jeudi, a déclaré qu'il était « vraiment important en ce moment que nous essayions tous de nous assurer que nous ne déclenchons pas de conflits supplémentaires ».

Il a fait ces commentaires après avoir mentionné les récentes activités militaires israéliennes et turques sur le sol syrien.

Une affiche criblée de balles représentant le président syrien renversé Bachar el-Assad

Les États-Unis espèrent garantir que la Syrie ne soit pas « utilisée comme base du terrorisme » et ne constitue pas « une menace pour ses voisins », a ajouté Blinken.

Il s’agit d’une préoccupation majeure à la fois pour la Turquie, qui n’apprécie pas l’alliance militaire américaine avec les Kurdes syriens, et pour Israël, qui bombarde plusieurs sites de son adversaire historique depuis la chute d’Assad.

Jeudi, l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) a signalé des frappes israéliennes près de Damas, où des correspondants de l'AFP ont déclaré avoir entendu de fortes explosions.

Blinken a déclaré que les frappes aériennes israéliennes visent à « essayer de s'assurer que le matériel militaire abandonné par l'armée syrienne ne tombe pas entre de mauvaises mains ».

Le chef de la diplomatie américaine a également déclaré que Washington « travaillait pour ramener à la maison » l'Américain Travis Timmerman, après que les nouveaux dirigeants syriens ont annoncé sa libération.

Les dirigeants syriens se sont déclarés prêts à coopérer avec Washington pour rechercher les citoyens américains disparus sous Assad, y compris dans le cadre d'une recherche « en cours » du journaliste américain Austin Tice, enlevé en 2012.

- Appels à une transition « inclusive » -

Jeudi également, les dirigeants du Groupe des Sept ont déclaré qu'ils étaient prêts à soutenir la transition vers un gouvernement « inclusif et non sectaire » en Syrie.

Une femme brandit une photo du chef du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), Abu Mohammed al-Jolani

Ils ont appelé à la protection des droits humains, notamment ceux des femmes et des minorités, tout en soulignant « l’importance de tenir le régime d’Assad responsable de ses crimes ».

La joie suscitée par le renversement d’Assad s’est accompagnée d’une incertitude quant à l’avenir de ce pays multiethnique et multiconfessionnel.

Le groupe musulman sunnite HTS est issu de la branche syrienne d'Al-Qaïda et est considéré comme une organisation terroriste par de nombreux gouvernements occidentaux, bien qu'il ait cherché à modérer sa rhétorique.

Les nouveaux dirigeants ont également promis que justice serait rendue aux victimes du régime d'Assad, le chef du HTS, Abou Mohammed al-Jolani, promettant que les fonctionnaires impliqués dans la torture des détenus ne seraient pas graciés.

Jolani, qui utilise désormais son vrai nom Ahmed al-Sharaa, a également exhorté « les pays à livrer tous les criminels qui auraient pu fuir afin qu'ils puissent être traduits en justice ».

Des combattants rebelles ont incendié la tombe du père et prédécesseur d'Assad, Hafez, dans leur village natal de Qardaha

Les enquêteurs de l'ONU ont déclaré avoir compilé des listes secrètes de 4 000 auteurs de crimes graves en Syrie depuis les premiers jours de la guerre civile dans le pays.

« Il est très important que les responsables de haut niveau soient traduits en justice », a déclaré à l'AFP Linnea Arvidsson, qui coordonne la Commission d'enquête des Nations unies sur la Syrie.

- « Je commence à me sentir en sécurité » -

Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies a quant à lui appelé à débloquer 250 millions de dollars pour l'aide alimentaire aux personnes déplacées et vulnérables en Syrie au cours des six prochains mois.

Carte montrant les zones de contrôle des différentes forces en Syrie au 10 décembre, deux jours après la chute du régime de Bachar al-Assad, selon les dernières données de l'ISW

Le parti Baas du président déchu a quant à lui annoncé qu'il suspendrait ses activités « sous toutes ses formes… jusqu'à nouvel ordre » et remettrait ses biens aux autorités.

Assad a été soutenu par la Russie, où il aurait fui, ainsi que par l'Iran et le groupe militant libanais Hezbollah.

Les rebelles ont lancé leur offensive le 27 novembre, le jour même où un cessez-le-feu est entré en vigueur dans la guerre entre Israël et le Hezbollah, qui a vu Israël infliger des pertes stupéfiantes dans les rangs de l'allié libanais d'Assad.

Israël a mené des centaines de frappes aériennes sur la Syrie depuis le début de la guerre civile en 2011.

L'armée syrienne a intensifié ses frappes ces derniers jours et a envoyé des troupes dans la zone tampon surveillée par l'ONU qui sépare les forces israéliennes et syriennes sur le plateau du Golan, une action qui, selon l'ONU, viole l'armistice de 1974.

Dans le plateau du Golan occupé par Israël, conquis à la Syrie pendant la guerre israélo-arabe de 1967, de nombreux habitants ont déclaré espérer la paix avec Israël – et un retour sous contrôle syrien.

« Il y a toujours de l'incertitude, mais j'insiste pour garder espoir », a déclaré à l'AFP Talal Abu Saleh, 69 ans.