Le médiateur national espagnol, Angel Gabilondo, a déclaré que la réponse de l'Église catholique aux cas de maltraitance d'enfants impliquant le clergé était « insuffisante »

Madrid (AFP) - Plus de 200 000 mineurs auraient été abusés sexuellement en Espagne par le clergé catholique depuis 1940, selon une commission indépendante publiée vendredi.

Le rapport ne donne pas de chiffre précis, mais indique qu'un sondage mené auprès de plus de 8 000 personnes a révélé que 0,6 pour cent de la population adulte espagnole, soit environ 39 millions d'habitants, a déclaré avoir été victime d'abus sexuels de la part de membres du clergé alors qu'ils étaient encore enfants.

Ce pourcentage s'élève à 1,13 pour cent – ​​soit plus de 400 000 personnes – en incluant les abus commis par des membres non professionnels, a déclaré le médiateur national espagnol, Angel Gabilondo, lors d'une conférence de presse convoquée pour présenter les conclusions du rapport qui compte plus de 700 pages.

Les révélations en Espagne sont les dernières à ébranler l’Église catholique romaine après une série de scandales d’abus sexuels à travers le monde, impliquant souvent des enfants, au cours des 20 dernières années.

La commission a également interrogé 487 victimes, qui ont souligné « les problèmes émotionnels » que les abus leur ont causés, a déclaré Gabilondo.

"Il y a des gens qui se sont suicidés... des gens qui n'ont jamais refait leur vie", a déclaré l'ancien ministre socialiste de l'Éducation.

Teresa Conde, une professeure de philosophie qui a été maltraitée pendant des années par un frère dès l'âge de 14 ans alors qu'elle fréquentait une école religieuse de la ville de Salamanque, au nord-ouest du pays, au début des années 1980, a déclaré qu'elle « ne sera jamais une personne normale ».

"Je n'arrêterai jamais de suivre une thérapie ou de prendre des médicaments", a déclaré à l'AFP cet homme de 57 ans.

- 'Minimiser le problème' -

Contrairement à d’autres pays, en Espagne – un pays traditionnellement catholique devenu hautement laïc – les allégations d’abus commis par des religieux n’ont commencé que récemment à gagner du terrain, conduisant à des accusations d’obstruction de la part des survivants.

Le rapport critique la réponse de l’Église catholique, affirmant qu’elle « a longtemps été caractérisée par le déni et les tentatives de minimiser le problème ». Il a recommandé la création d'un fonds public pour verser des réparations aux victimes.

"Malheureusement, depuis de nombreuses années, il existe une certaine volonté de nier les abus ou une volonté de dissimuler ou de protéger les agresseurs", a déclaré Gabilondo.

En mars 2022, le parlement espagnol a approuvé à une écrasante majorité la création d'une commission indépendante dirigée par le médiateur du pays pour enquêter sur les abus religieux.

L'Église catholique du pays, qui a catégoriquement refusé pendant des années de mener sa propre enquête, a refusé d'y participer, bien qu'elle ait coopéré en fournissant des documents sur des cas d'abus sexuels recueillis par les diocèses.

Mais alors que la pression politique s’intensifiait, elle a chargé un cabinet d’avocats privé en février 2022 d’un « audit » sur les abus sexuels passés et présents commis par des membres du clergé, des enseignants et d’autres personnes associées à l’Église, qui devrait être achevé d’ici la fin de l’année.

L’Église espagnole a également mis en place des protocoles pour traiter les abus sexuels et a mis en place des bureaux de « protection de l’enfance » au sein des diocèses.

Contactée par l'AFP, la conférence des évêques espagnols a indiqué qu'elle réagirait lundi au rapport de la commission lors d'une réunion extraordinaire.

- "Un pays légèrement meilleur" -

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a déclaré que la publication du rapport constituait une « étape importante » dans l'histoire démocratique du pays.

"Aujourd'hui, nous sommes un pays un peu meilleur, car une réalité dont tout le monde était conscient depuis des années mais dont personne ne parlait a été révélée", a déclaré le Premier ministre socialiste aux journalistes à Bruxelles.

Juan Cuatrecasas, membre fondateur de l'association de victimes « Infancia Robada » (Enfance volée) et père d'un jeune qui a été maltraité par un enseignant dans une école catholique de Bilbao, a déclaré que les législateurs doivent désormais veiller à ce que les réparations soient faites.

"Cela doit être le début de quelque chose, pas une fin en soi", a-t-il déclaré à l'AFP.

La crise des abus au sein de l'Église catholique romaine a explosé sur la scène internationale en 2002 lorsque le journal Boston Globe a révélé que des prêtres avaient abusé sexuellement d'enfants pendant des décennies et que les dirigeants de l'Église avaient dissimulé cette affaire.

Des cas généralisés de maltraitance d’enfants ont ensuite été signalés aux États-Unis et en Europe, au Chili et en Australie, sapant l’autorité morale de l’Église qui compte 1,3 milliard de membres et faisant des ravages parmi ses membres.

En France, une commission indépendante a par exemple conclu en 2021 que quelque 216 000 enfants – pour la plupart des garçons – avaient été abusés sexuellement par le clergé depuis 1950.