Macron, 45 ans, a promis une "nouvelle méthode" pour son second mandat qui a débuté en mai dernier

Paris (AFP) - Le président français Emmanuel Macron est peut-être sur le point d'obtenir sa chère réforme du système de retraite, mais les analystes y voient une victoire à la Pyrrhus qui le laissera politiquement affaibli.

Incapable de trouver une majorité parlementaire pour les changements à l'Assemblée nationale, le dirigeant de 45 ans a décidé jeudi d'invoquer un pouvoir exécutif controversé qui permet au gouvernement de faire passer une législation par le parlement sans vote.

Une telle décision serait impensable dans de nombreuses démocraties, mais elle est légale en vertu de la constitution française vieille de 65 ans qui concentre le pouvoir entre les mains du président au détriment des députés.

Mais la décision de Macron de se tourner vers le tristement célèbre article 49.3 pour une réforme aussi importante a été perçue à la fois comme un signe de faiblesse et un abus de pouvoir par les critiques.

"On a le sentiment que le gouvernement n'écoute pas les gens et en plus il n'écoute pas tout en se comportant brutalement à l'Assemblée nationale", a déclaré Antoine Bristielle, analyste politique à la Fondation Jean-Jaures, un groupe de réflexion parisien. AFP.

Les sondages montrent qu'environ deux Français sur trois sont opposés à l'idée de relever l'âge de la retraite de 62 à 64 ans.

Le gouvernement minoritaire de Macron sera désormais confronté à un vote de censure la semaine prochaine, auquel il semble susceptible de survivre, laissant le président simplement signer la législation.

"A supposer que les partis d'opposition ne fassent pas tomber le gouvernement, c'est une victoire à la Pyrrhus pour Emmanuel Macron", a prévenu Stéphane Zumsteeg, responsable des sondages en France pour le groupe d'opinion Ipsos.

"Même si cela entre en vigueur, l'héritage sera une relation très endommagée entre le public français et le président", a-t-il ajouté.

- L'humilité ? -

Les critiques du style de gouvernement de Macron ne sont pas nouvelles.

Il semble avoir appris qu'il y avait des limites au pouvoir exécutif en 2018 lorsqu'une féroce révolte anti-gouvernementale des manifestants des "gilets jaunes" a secoué le pays, avec une grande partie de la colère dirigée contre lui et sa personnalité abrasive.

Après avoir battu la dirigeante d'extrême droite Marine Le Pen en avril pour remporter un second mandat, il a reconnu dans un humble discours de victoire que de nombreuses personnes avaient voté pour lui simplement pour garder Le Pen hors du pouvoir.

Le mouvement de protestation des "gilets jaunes" en 2018 a exprimé un profond ressentiment envers Macron et a secoué le pays

Il a promis une "nouvelle méthode" qui impliquerait davantage de consensus et de consultations, affirmant peu après son investiture en mai que les Français étaient "fatigués des réformes qui viennent du haut vers le bas".

Lorsque les élections à l'Assemblée nationale en juin ont donné lieu au premier parlement sans majorité depuis plus de deux décennies, les analystes ont vu le résultat comme un pays profondément divisé mettant délibérément des limites à l'autorité de Macron.

"Il a parlé de plus d'humilité, de plus de consultations, de moins de haut en bas, d'écouter davantage les gens, et en fait, il a fait exactement le contraire", a déclaré Zumsteeg.

Macron n'a fait aucun commentaire public jeudi – et n'a pas donné de conférence de presse, d'interview médiatique ou de discours consacré à la réforme depuis qu'elle a été dévoilée en janvier.

Dans des commentaires communiqués aux médias, l'ancien banquier d'affaires aurait approuvé l'utilisation de l'article 49.3 car les «risques financiers et économiques sont trop grands» de ne pas apporter les modifications.

Le gouvernement compte sur le relèvement de l'âge de la retraite pour économiser des milliards d'euros par an pour aider à réduire les emprunts publics galopants, avec sa crédibilité sur les marchés financiers et auprès de ses partenaires européens en jeu.

La plupart des alliés de la France dans l'UE ont déjà relevé l'âge à 65 ans ou plus.

- 'Jouer avec le feu' -

La grande question pour Macron est de savoir ce qu'il peut réaliser pour le reste de son mandat, qui court jusqu'en 2027, date à laquelle il sera obligé de démissionner après avoir servi deux mandats.

"Sur la santé, la transition verte ou l'immigration, il y a peut-être des possibilités de réformes", a déclaré à l'AFP le politologue et auteur Brice Teinturier.

D'autres sont plus pessimistes.

"Je me demande si nous pouvons rebondir à partir de cela", a déclaré un député du parti au pouvoir, demandant à ne pas être nommé.

D'autres législateurs généralement fidèles sont en désaccord ouvert, insistant sur le fait que le gouvernement aurait dû organiser un vote sur la législation, même s'ils risquaient la défaite.

Les plus grandes questions pour le pays sont de savoir si Macron va maintenant déclencher une autre série de manifestations violentes et économiquement coûteuses – et s'il a augmenté les chances que Le Pen et son parti du Rassemblement national arrivent au pouvoir.

Le journal de gauche Le Monde a accusé Macron de "jouer avec le feu" dans un éditorial vendredi.

Pour Emilie Zapalski, experte en communication politique, l'épisode "va nourrir le vote pour le Rassemblement national".