Joël Le Scouarnec est accusé d'avoir abusé sexuellement de 299 patients

Rennes (France) (AFP) - Un chirurgien français jugé pour avoir violé ou agressé sexuellement près de 300 patientes, en majorité des enfants, a exercé pendant des décennies jusqu'à sa retraite malgré une condamnation pour possession d'images abusives d'enfants et des collègues qui avaient tiré la sonnette d'alarme, montre une enquête de l'AFP.

Joël Le Scouarnec, 74 ans, est déjà en prison après qu'un tribunal l'a reconnu coupable en 2020 d'avoir abusé de quatre enfants, dont deux de ses nièces.

Dans un procès distinct de quatre mois qui débutera le 24 février, il est accusé d'avoir également agressé ou violé 299 patients, la plupart alors qu'ils étaient sous anesthésie générale dans une douzaine d'hôpitaux entre 1989 et 2014.

Au total, 256 des 299 victimes avaient moins de 15 ans, la plus jeune étant âgée d'un an et la plus âgée de 70 ans.

Le chirurgien n'a jamais fait l'objet d'une enquête au cours de sa carrière, malgré une condamnation en 2005 pour possession d'images sexuellement abusives d'enfants.

Les enquêteurs n'ont découvert ses crimes présumés qu'après sa retraite en 2017, lorsqu'une fillette de six ans l'a accusé de viol et que la police a trouvé d'innombrables témoignages d'abus dans ses journaux.

Les victimes et les défenseurs des droits de l’enfant affirment que cette affaire met en évidence les défaillances systémiques qui ont permis à Le Scouarnec de commettre à plusieurs reprises des crimes sexuels.

"Combien de personnes savaient qu'il était pédophile et l'ont laissé pratiquer la médecine au contact d'enfants ?", a déclaré à l'AFP l'une des victimes, sous couvert d'anonymat.

« Ils savaient et ils n’ont rien fait. »

- « Je lui ai demandé de démissionner » -

En 2004, Le Scouarnec exerçait à Lorient, dans l'ouest du pays, lorsque le FBI a alerté les autorités françaises qu'il faisait partie des centaines de personnes en France qui consultaient en ligne des images d'abus sexuels sur des enfants.

L'année suivante, un tribunal de Vannes le condamne à quatre mois de prison avec sursis.

Les enquêteurs n'ont découvert les crimes présumés du chirurgien qu'après sa retraite en 2017, lorsqu'un enfant de six ans l'a accusé de viol.

Mais à cette époque, le médecin était déjà parti travailler à Quimperlé, une autre ville de la même région de Bretagne.

L'hôpital de Quimper peine à recruter du personnel et sa maternité et son service de chirurgie sont menacés de fermeture, a indiqué l'actuel maire de la ville, Michael Quernez.

« L’arrivée du nouveau chirurgien a dû être un soulagement », a-t-il déclaré.

Le Scouarnec n'a pas informé sa direction de sa condamnation mais un confrère, le psychiatre Thierry Bonvalot, l'a appris par un autre confrère.

Bonvalot a déclaré à l'AFP que son collègue « avait donné l'impression que ce n'était rien ».

« Il a dit qu'il était alcoolique, qu'il était seul, que sa femme ne voulait plus de lui, et n'a fourni aucune preuve de sa condamnation », a déclaré Me Bonvalot.

« Mais très vite, d’autres choses ont commencé à attirer mon attention. »

Le Scouarnec a d'abord défendu un radiologue de l'hôpital accusé d'avoir violé des patientes, a déclaré Bonvalot.

L'homme, Mohamed Frehat, sera plus tard condamné à 18 ans de prison pour avoir violé et agressé 32 patientes, dont huit mineures.

A une autre occasion, Bonvalot, qui était également à la tête du conseil d'administration de l'hôpital, eut besoin d'interroger Le Scouarnec au sujet d'une opération qu'il avait pratiquée sur un jeune garçon.

« Il a résumé l’opération avec tant de métaphores sexuelles que j’en ai été choqué. Il a avoué avoir été condamné pour pornographie infantile », a déclaré le psychiatre.

« J’ai compris qu’il était dangereux et je lui ai demandé de démissionner. Il a refusé. »

- Les médecins votent -

Le 14 juin 2006, dans une lettre consultée par l'AFP, Bonvalot écrivait au directeur de l'hôpital pour s'interroger sur la capacité de son collègue « à rester complètement serein lorsqu'il soigne de jeunes enfants » au vu de son « passé judiciaire ».

Le 19 juillet, il a envoyé une copie de la lettre à l'Ordre des médecins du Finistère, en Bretagne. L'AFP a vu le cachet indiquant que l'organisme l'avait reçu et l'a lu.

En 2020, un tribunal français a reconnu Joël Le Scouarnec coupable d'agression sexuelle sur quatre enfants

M. Bonvalot a indiqué à l'AFP avoir également contacté le maire de la ville de l'époque, Daniel Le Bras, qui était également anesthésiste dans le même hôpital.

« Le Bras m'a dit : 'Je m'en occupe personnellement' », a déclaré Bonvalot.

Le Bras n'a pas répondu à une demande de commentaire de l'AFP.

Malgré les efforts de Bonvalot, le 1er août de la même année, Le Scouarnec devient chef du service de chirurgie de l'hôpital.

Comme c'est la routine dans ce genre de promotions, la direction de l'hôpital a demandé une copie de son casier judiciaire et a reçu une réponse indiquant qu'il était vierge, selon des documents des agences de santé locales et régionales.

Après avoir reçu le courrier de juillet, l'Ordre des médecins a demandé au tribunal de Vannes une copie du jugement de 2005 contre Le Scouarnec pour possession d'images abusives.

Le tribunal ne l'a envoyé que le 9 novembre, après des rappels répétés, selon une chaîne de courriels consultée par l'AFP.

L'Ordre des médecins a alors alerté la Direction sanitaire et sociale du Finistère, autorité locale de l'Etat.

La direction a reçu le 23 novembre une lettre du directeur de l'hôpital défendant son chirurgien-chef comme un médecin « sérieux et compétent » ayant « d'excellentes relations tant avec les patients et leurs familles qu'avec le personnel ».

Son arrivée « nous a permis de stabiliser nos activités chirurgicales de manière satisfaisante », écrit le directeur, décédé depuis.

Lors d'une réunion de l'Ordre des médecins du Finistère, le 14 décembre, 18 médecins sur 19 ont décidé de ne pas sanctionner Le Scouarnec.

Ils ont décidé de laisser l’autorité sanitaire locale s’occuper du problème.

- Décès du patient -

Au même moment, Yvon Guillerm, directeur général de l'Agence régionale de santé de Bretagne (ARH), a ouvert une enquête sur l'hôpital après une "plainte au parquet" non précisée, selon un courrier daté du 13 mars 2007 qu'il a adressé à Bernard Chenevière, un haut fonctionnaire du ministère de la Santé.

Une partie du procès de 2020 s'est déroulée à huis clos

Guillerm dira aux enquêteurs dix ans plus tard qu'une patiente était décédée sur la table d'opération de Le Scouarnec et que ce décès, combiné à la condamnation passée du médecin, était « préoccupant », selon un document judiciaire.

Le 14 mars 2007, Guillerm a fait suivre un rapport à Chenevière soulignant qu'il considérait Le Scouarnec comme moralement inapte à exercer.

Il a suggéré que le ministre de la Santé intervienne directement et dépose une plainte auprès de l’Ordre national des médecins.

Mais 12 jours plus tard, le ministre de la Santé a été remplacé lors d'un remaniement ministériel et aucune plainte ne semble avoir été déposée auprès du corps médical.

- « Échec collectif » -

On ne sait pas exactement ce qu'a révélé l'enquête de l'ARH, mais elle a conduit à la fermeture des services d'obstétrique et de chirurgie de Quimperlé en juin 2007.

Une décennie plus tard, des allégations allaient émerger selon lesquelles Le Scouarnec aurait violé ou agressé sexuellement plus de 30 enfants dans cet hôpital, dont quatre au cours du seul mois de mai précédant la fermeture.

Le chirurgien quitte Quimperlé pour travailler brièvement dans une autre ville de Bretagne appelée Pontivy.

Mais quelqu'un a ensuite appelé l'hôpital pour l'informer du passé de Le Scouarnec et son directeur l'a licencié, selon les enquêteurs.

Le Scouarnec a travaillé à l'hôpital de Jonzac pendant près d'une décennie jusqu'à sa retraite

En juin 2008, Le Scouarnec s'est installé dans le sud-ouest de la France et a commencé à travailler dans un hôpital de la ville de Jonzac. Il a déclaré à la directrice qu'il faisait l'objet d'une enquête, mais elle n'a pas tenu compte de cette information.

Il y travaillera pendant près d’une décennie jusqu’à sa retraite en 2017.

Frédéric Benoist, avocat au sein de l'association française La Voix de l'Enfant, estime que le fait que Le Scouarnec n'ait jamais été interdit d'exercer est le résultat d'un « échec collectif ».

L'association a déposé une plainte en justice pour ces manquements qui « mettent autrui en danger », a-t-il déclaré.

Une enquête préliminaire a été ouverte, a indiqué le parquet de Lorient.