Les circonstances complètes du meurtre en 2013 à Paris de trois militants kurdes restent floues

Paris (AFP) - Le meurtre non résolu en 2013 de trois militantes kurdes à Paris a été une plaie ouverte pour leur communauté, avec une frustration persistante face à l'incapacité de la France à traduire les responsables en justice.

Cette blessure a été aggravée après l'attaque de vendredi au cours de laquelle un homme armé français blanc aurait tué trois Kurdes, à quelques minutes à pied du lieu du meurtre il y a neuf ans.

La nouvelle attaque a ramené les meurtres de 2013 sous les projecteurs, la communauté kurde demandant pourquoi les autorités françaises n'ont toujours pas été en mesure d'élucider pleinement l'affaire et de dire s'il y avait des complices ou des bailleurs de fonds.

Le 9 janvier 2013, Sakine Cansiz – l'une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – a été assassinée avec Fidan Dogan, 28 ans, et Leyla Soylemez, 24 ans. Le PKK est mis sur liste noire par Ankara et ses alliés occidentaux en tant que groupe terroriste.

Ils ont été abattus dans les locaux du Centre d'information du Kurdistan à Paris, à seulement 10 minutes à pied du centre culturel kurde visé vendredi.

Le ressortissant turc Omer Guney a été accusé du meurtre des trois hommes mais est décédé à l'hôpital d'un cancer du cerveau en décembre 2016, juste avant que son affaire ne soit jugée.

Les familles des militants pointent vers des documents qui, selon eux, prouvent l'implication de l'agence d'espionnage turque (MIT). En 2014, le MIT a officiellement nié tout rôle.

Après la fusillade de vendredi, certains membres de la communauté kurde ont accusé la France d'avoir manqué à son devoir de les protéger, et certains se sont affrontés avec la police lors de manifestations.

Les manifestants ont établi des parallèles entre les meurtres de 2013 et la dernière attaque, certains tenant des images des trois militants.

Certains ont également accusé la Turquie d'être impliquée dans la fusillade de la semaine dernière, mais les enquêteurs français n'ont fourni aucune annonce à cet effet.

Le suspect de 69 ans, qui, selon les autorités, a reconnu ses convictions racistes, a été inculpé lundi de meurtre motivé par la race, l'origine ethnique, la nationalité ou la religion.

- Profil trouble -

Guney a nié toute implication dans les meurtres de 2013, et ce sont des images de surveillance qui ont conduit à son arrestation après avoir été vu entrer sur les lieux du crime et l'un des ADN de la victime aurait été retrouvé sur son manteau.

Mais le profil obscur de Guney, agent de maintenance à l'aéroport Charles de Gaulle, complique davantage l'affaire.

Dans un premier temps, selon des sources policières, il s'est présenté comme un membre du PKK, ce que le groupe a nié, puis il a été soupçonné d'être proche de groupes ultra-nationalistes turcs et accusé d'avoir infiltré la communauté kurde de France à partir de fin 2011.

Le PKK mène une insurrection contre l'État turc depuis 1984, cherchant d'abord une patrie kurde, puis à la recherche d'une plus grande autonomie politique pour les Kurdes.

Le groupe et ses partisans défendent le PKK en tant que mouvement de libération nationale.

Les meurtres de 2013 sont survenus alors que l'État turc et le chef emprisonné du PKK, Abdullah Ocalan, entamaient des pourparlers de paix provisoires pour résoudre le conflit qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.

Après l'effondrement d'un cessez-le-feu en 2015, les combats ont de nouveau éclaté.

Malgré le démenti du MIT, les médias turcs ont publié l'enregistrement d'une conversation entre un homme soupçonné d'être Guney et deux espions turcs ainsi qu'un document ressemblant à un « ordre de mission ».

"Ses liens avec les services (de renseignement) turcs ont été prouvés par plusieurs éléments de l'affaire", a déclaré cette semaine à l'AFP Antoine Comte, avocat de la famille d'un des militants tués.

- Zones grises -

L'enquête, qui s'est clôturée en mai 2015, avait pointé du doigt l'"implication" d'agents turcs mais sans faire référence à aucun commanditaire.

La question restait donc de savoir si les agents étaient impliqués "officiellement" et "avec l'approbation de leurs patrons" ou si Guney était un acteur voyou, a déclaré une source proche du dossier.

Guney "était soupçonné d'être un Turc ultra-nationaliste et il n'y avait guère de doute sur ses liens avec les services secrets turcs", a déclaré son ancien avocat Xavier Nogueras.

"Mais la question que se posaient les juges était de savoir si l'ordre venait du MIT ou s'il était allé au MIT pour savoir s'il pouvait leur être utile", a déclaré Nogueras à l'AFP.

L'espoir des familles d'établir l'implication présumée d'Ankara ne s'est pas éteint, malgré la mort de Guney.

En 2017, ils ont déposé leur première plainte en justice avec des documents qui, selon eux, prouvent que les meurtres étaient une « opération soigneusement planifiée par les services secrets turcs ».

Le parquet de Paris a classé l'affaire mais après que les familles ont déposé une autre plainte, un juge antiterroriste a été nommé pour approfondir l'affaire.

Plus tôt ce mois-ci, le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) a exhorté la France à révéler les informations de l'enquête pour mettre fin à "l'impunité".

"Il reste encore de nombreuses enquêtes à mener", a déclaré l'avocat Comte.

Il a ajouté que trois jours seulement avant l'attaque de vendredi, les familles avaient rencontré les juges chargés de l'affaire de 2013.