« Il est impossible de laisser toute l'histoire derrière soi et de ne pas la ramener chez soi », déclare le guide Jacek Paluch

Oswiecim (Pologne) (AFP) - Des barbelés bordent la route menant au travail de Pawel Sawicki, porte-parole adjoint du musée d'Auschwitz, sur le site de l'ancien camp d'extermination nazi libéré il y a 80 ans ce mois-ci.

Plus d'un million de personnes sont mortes dans le camp d'Auschwitz-Birkenau construit par l'Allemagne nazie lorsqu'elle occupait la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale – la plupart d'entre elles étaient juives, mais aussi des Polonais non juifs, des Roms et des soldats soviétiques.

Environ 850 personnes travaillent au musée pour préserver leur mémoire, un travail qui a plus de charge émotionnelle qu'un travail habituel de neuf à cinq.

« On dit que quand on commence à travailler ici, soit on part très vite parce que l'histoire est trop chargée, soit on reste longtemps », explique Sawicki, responsable des médias sociaux au musée et qui y travaille depuis 17 ans.

Le bureau de Sawicki est situé dans un ancien hôpital pour les tristement célèbres SS nazis

« Cela aide de trouver un sens à la mission », a déclaré à l'AFP cet homme de 44 ans.

Le bureau de Sawicki est situé dans un ancien hôpital pour les tristement célèbres SS des nazis.

Derrière le bâtiment se trouve une ancienne chambre à gaz et plus loin se trouve la porte « Arbeit Macht Frei » (Le travail vous rendra libre) du camp.

Pour faire face au lourd fardeau émotionnel que représente son travail à Auschwitz, Sawicki dit avoir érigé « une sorte de barrière professionnelle » qui le maintient sain d’esprit, même si elle se fissure de temps en temps.

- Pas un mot -

Jacek Paluch, guide touristique de longue date d'Auschwitz, a déclaré qu'il s'assurait de laisser son « travail au travail » pour éviter de devenir fou.

« Mais c'est un travail particulier, et un endroit particulier. Il est impossible de laisser toute cette histoire derrière soi et de ne pas la ramener chez soi », a-t-il déclaré à l'AFP.

L'homme de 60 ans dit qu'il dirige jusqu'à 400 groupes de visiteurs chaque année autour de l'ancienne usine de la mort.

Le musée propose des visites du site en plus de 20 langues, animées par quelque 350 guides

Plus de 1,8 million de personnes du monde entier ont visité Auschwitz l’année dernière.

Le musée propose des visites du site en plus de 20 langues, animées par environ 350 guides.

Les moments les plus durs et les plus émouvants pour Paluch sont ses rencontres avec d’anciens prisonniers.

Un jour, Paluch a croisé un homme assis en silence – et insensible aux questions – sur un banc, son bras tatoué avec son ancien numéro de détenu.

« De toute sa vie, il n’a jamais dit un mot à sa famille sur ce qui s’était passé ici. Puis, soudain, un dimanche, au petit déjeuner, il a commencé à parler », raconte Paluch.

« Ils l’ont arrêté et l’ont emmené ici pour qu’il puisse raconter son histoire là où cela s’est passé », a-t-il poursuivi.

« Mais lorsqu’il a franchi le portail 'Arbeit macht frei', les souvenirs lui sont revenus. Il est redevenu silencieux et n’a plus voulu en parler. »

- « Importance comme preuve » -

Paluch a déclaré qu'il savait quand le travail avait des conséquences néfastes.

« Un signe de fatigue, pas nécessairement physique mais plutôt mentale, c'est quand je rêve la nuit que je dirige des groupes », a-t-il déclaré.

« C’est à ce moment-là que je réalise que j’ai besoin de prendre un peu de repos. »

L'historienne Wanda Witek-Malicka a dû arrêter son travail sur les enfants détenus d'Auschwitz après être devenue mère

Wanda Witek-Malicka, historienne au centre de recherche du musée, s'est penchée pendant des années sur les enfants détenus à Auschwitz. Mais elle a dû abandonner ce sujet difficile lorsqu'elle est devenue mère.

« A ce moment-là, cet aspect particulier de l'histoire d'Auschwitz – les enfants, les femmes enceintes, les nouveau-nés – je n'étais pas en état de le gérer », a-t-elle déclaré à l'AFP.

« Le poids émotionnel du site et de l’histoire était trop lourd pour moi », a ajouté l’homme de 38 ans.

Si le personnel du musée réfléchissait 24 heures sur 24 à l’histoire du site, « nous serions probablement incapables de faire le moindre travail ».

Ailleurs sur le site, le conservateur Andrzej Jastrzebiowski a examiné des conteneurs métalliques autrefois remplis de Zyklon B, le gaz toxique utilisé pour tuer les détenus à Auschwitz.

Il se souvient de sa colère de jeunesse – il travaille au musée depuis 17 ans – lorsqu’il devait conserver des objets ayant appartenu aux nazis.

« Plus tard, j'ai réalisé que ces objets avaient de l'importance en tant que preuves des crimes commis ici, et les conserver fait aussi partie de notre mission ici », a déclaré à l'AFP cet homme de 47 ans.

- «Donnez-leur une voix» -

Jastrzebiowski et ses collègues du département de conservation de haute technologie sont responsables de la préservation de centaines de milliers d'objets, notamment des chaussures, des valises, des pots en métal, des brosses à dents, des lettres et des documents.

La plupart des objets appartenaient aux détenus avant d’être confisqués à leur arrivée.

Les conservateurs sont également responsables de la préservation des baraquements du camp, des barbelés, des vestiges des crématoriums et des chambres à gaz détruits et d'autres ruines du site.

Le personnel conserve les centaines de milliers d'objets personnels confisqués aux détenus à leur arrivée

Il s’agit d’un travail de la plus haute importance, surtout à une époque où le nombre d’anciens détenus encore en vie diminue rapidement.

« Bientôt, il n'y aura plus de témoins directs pour témoigner et il ne restera que ces objets, et ils devront raconter l'histoire », a déclaré Jastrzebiowski.

« Notre travail est de leur donner la parole. »

Lorsqu'il travaille sur un objet, il essaie de découvrir les particularités de l'objet pour éviter que le travail ne devienne une routine insensée.

« Cela m'aide à penser aux propriétaires des objets, à leurs histoires », a-t-il déclaré à l'AFP.

« C’est surtout le contraire de ce que les nazis voulaient : que leur mémoire s’efface, qu’ils disparaissent à jamais. »